Introduction
Remarque préalable. J’ai repris le titre d’une exposition faite par Les Amis de Méricourt à l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale. Cette exposition est actuellement dispersée car l’association est logée dans des locaux provisoires. Une fois les panneaux rassemblés, je les diffuserai dans le blog.
Pour traiter ce vaste sujet je suis obligé de faire des choix(par exemple je ne vais pas détailler l’aspect militaire de la guerre) : je vais tenter de faire émerger la vie des habitants de Méricourt de l’été 1914 à l’évacuation d’avril 1917. Pour cela, je vais mettre en miroir le témoignage de trois Méricourtois avec la synthèse de l’historien Yves Le Maner : La Grande Guerre dans le Nord et le Pas-de-Calais 1914-1918; éditions La voix du Nord; 2014. J’utiliserai essentiellement le chapitre 4 : L’occupation du Nord, pages 204-277.
Les témoins : les sources
Premier témoignage : celui de Norbert Alluin paru en annexe d’une édition des « amis de Méricourt » éditée en 1984 et intitulée « Méricourt sous l’occupation Allemande« ; tapuscrit de 43 pages et annexes. Ce travail a été réalisé par les élèves du C.E.S Henri Wallon dans le cadre du plan d’action éducative sous la conduite éclairée des professeurs MM Canesson et Pouhin.
Par commodité j’appelle ce document : source 1.
Deuxième témoignage : celui d’Arthur Martial Lecomte paru dans la revue Gauhéria n°67 de novembre 2008 : une famille méricourtoise sous l’occupation 1914-1918. Anges et démons sous l’occupation. Pages 61 à 80.
Il est précisé que ce tapuscrit d’Arthur Lecomte a été transmis à Gauhéria par son président Eugène Monchy, Méricourtois bien connu…
J’appelle ce témoignage :Source 2.
Troisième témoignage : Maurice Payen dans Mille-feuille carnets inédits. Les éditions Nord Avril. 2007.
J’appelle ce document source 3
Pour le compte rendu du livre par Vincent Suard : https://www.crid1418.org/temoins/2012/05/22/payen-maurice-1885-apres-1948/
remarque : il faut corriger l’année de naissance de Maurice Payen qui est 1895 et non 1885 comme indiqué dans l’article.
Les témoins : présentation
Témoin n°1 : Norbert Alluin :
Norbert se présente ainsi en août 1914 :
Je travaillais dans un atelier de mécanique à Lens qui a été obligé de fermer ses portes à la suite de la mobilisation de nombreux ouvriers
C’est donc un adolescent âgé de 16 ans en 1914 qui habite rue Ledru-Rollin :
Nous traversâmes la route de Méricourt à Avion, contournâmes Méricourt côté Ouest par le cimetière pour rentrer chez nous rue Ledru-Rollin. Mes parents étaient rentrés ainsi que ceux de mon ami Louis Delaby.
Dans le recensement de 1911 nous retrouvons la famille Alluin qui habite au 7 rue de l’Espérance.
Remarques : nous ne savons pas à quelle date a été rédigé ce témoignage qui apparaît globalement cohérent. J’ai retranscris le document paru dans la source 1 en corrigeant les fautes d’orthographe. Parfois certains extraits du texte sont « abstraits. »
Témoin n°2 : Arthur Lecomte
A la fin de son manuscrit, Arthur Lecomte signe : 24 janvier 1982: je signé Arthur Lecomte, Méricourt-Corons
Il précise ensuite dans le début de son récit (source 2 p 61) :
Je suis le quatrième garçon d'une famille de cinq enfants comprenant une soeur qui me précède de trois années. Je suis né dans une modeste maison des mines du Pas-de-Calais à Méricourt-Corons. Mon père, mineur de fond pendant 42 années , a survécu à la catastrophe du 10 mars 1906 de Courrières, justement au puits n°3 di de l'Avaleresse de Méricourt-Corons. ... Mon père y a perdu plusieurs de ses frères, beaux-frères et cousins. A la déclaration de guerre, en août 1914, mon père est parti le premier jour de la mobilisation, laissant ma mère avec ses cinq enfants. C'est surtout à partir de cette période que mes souvenirs sont moins flous. Je n'avais que trois ans et quelques mois....
Le père, Adolphe Lecomte a subi la « double peine » : la catastrophe de 1906 et la guerre de 1914-1918.
Remarques : ce qui peut paraître gênant ici c’est que l’auteur est un tout jeune enfant pendant la guerre (entre un peu plus de trois ans et un peu moins de huit ans) et que le document a été rédigé près de 70 ans après les faits : il faut donc tenir compte de cette double « distorsion » mémorielle. Mais en lisant ce très long récit, on se rend compte qu’il est très cohérent et très précis sur la chronologie des faits : il s’agit certainement l’aboutissement de toute une vie de recherche et de documentation sur cette guerre qui a marqué durablement Arthur Lecomte.
Nous retrouvons la famille Lecomte dans le recensement de 1911, habitant au n° 340 du coron 31 :
Témoin n° 3 : Maurice Payen qui se présente (source n°3 p 8) :
Je suis né le 5 février 1895, à Méricourt-Corons (Pas-de-Calais), dans les corons situés en face de l'Eglise (Sainte-Barbe)..., 24
Nous retrouvons dans le recensement de 1896 la famille Payen qui habite au n°8, 24ème pavillon, section de l’Avaleresse.
Maurice Payen, né en 1895, est un adulte de la classe 1915 qui est incorporé en décembre 1914 et démobilisé en août 1919. Je ne vais utiliser son témoignage que pour la période de l’été 1914.
Nous avons donc trois Méricourtois témoins directs lorsque la guerre éclate en août 1914 : un enfant et un adulte qui vivent à Méricourt-Corons et un adolescent qui habite Méricourt Village.
L’été 1914
La chasse aux étrangers à Méricourt-Corons
Maurice Payen écrit (source 3 page 42-43 ) :
A Méricourt-Corons, les joyeuses agitations des étrangers devinrent inquiétantes. Ils nous provoquaient en se promenant dans nos rues, en chantant avec des accordéons. Notre indignation fut prompte et une décision rapide fut prise. Des gardes civiques étaient nommées dans chaque commune et papa en faisait partie. Ils avaient un brassard vert au bras, et étaient chargés de faire la police, jour et nuit. Le 2 août 1914, les Allemands pénétraient en France, sans déclaration de guerre. Tous les hommes valides se formaient par groupes et une battue monstre était organisée pour arrêter tous les étrangers. La chasse à l'homme commençait. Tous les étrangers étaient arrêtés chez eux ou dans les rues, mis en lieu sûr, puis incarcérés à Saint-Etienne. Deux Autrichiens récalcitrants, armés de haches, étaient attrapés à la fosse 3, au moment où ils voulaient couper les câbles de chanvre des cages de la fosse. L'un d'eux fut tué à coups de pavés en gré sur la tête, sous les yeux de sa femme et de ses enfants. L'autre était malmené et recevait bon nombre de coups.
…
Tous les étrangers qui habitaient dans les corons furent malmenés et chassés. Certains même, qui étaient Autrichiens, Hongrois et Allemands, furent massacrés parce qu'ils étaient arrogants ou voulaient se rendre coupables d'acte d'hostilité envers les Français? Arrogants et narquois en parcourant les rues, la nuit en chantant et en jouant de l'accordéon! coupables d'acte d'hostilité en voulant coupe les câbles des cages au puits de mines n°3!
Ces propos apparaissent très violents. Il faudrait savoir s’ils ont été écrits avant ou après le retour de Maurice Payen des quatre ans de cette terrible guerre. Car dans sa préface, le petit-fils de Maurice, Bernard Léonard-Payen évoque son grand-père en ses termes :
En souvenir de cet homme érudit, humble, aimant et d'une infinie bonté.
Plus loin :
Je sais qu'il avait la haine de ses ennemis qui lui avaient saboté sa jeunesse, pourtant il avait accepté, bien des années plus tard, la réconciliation avec l'Allemagne, pour que plus jamais on ne revive cette boucherie. Mais il n'avait jamais pardonné.
A Méricourt-Village : il faut renter les moissons
Voici ce qu’écrit Norbert Alluin :
C’est le mois d’août, mois de la moisson. Je suis engagé chez un fermier pour remplacer les fils partis. Je suis occupé donc pour la rentrée de la moisson, ensuite pour le battage des grains jusqu’au jour où l’armée française se retire de la zone.
Un automne Allemand
La fuite des habitants
Maurice Payen ( source 3 pages 44-45) :
Tout le monde fuyait l'envahisseur. Mes parents m'avaient donné cent vingt-cinq francs en or et en argent que je portais dans une ceinture de corps. Une musette de victuailles était préparée pour mon départ. .... Alors un matin, en compagnie d'autres copains, je partais à pied par Lens, Béthune, en direction de Saint-Pol-sur-Ternoise....Puis je décidais de faire demi-tour pour rentrer à Méricourt, le lendemain soir avec les pieds en sang.
Le 3 octobre 1914, Maurice Payen avec son ami Henri Clabecq partent à pieds vers Lens, en passant par Sallaumines où ils rencontrent au niveau du pont Césarine des chasseurs à pieds français. Il continue son récit pages 46-47 :
Nous avons vu toute sorte de gens par milliers : des jeunes, des enfants et des vieillards venant du Nord et qui fuyaient devant l'envahisseur en emportant, hélas, que le peu dont ils avaient pu se charger.
Norbert Alluin raconte :
Le 4 octobre les Allemands avancent rapidement dans notre région. Déjà, depuis plusieurs jours des habitants ont quitté le village. Au dernier moment, tous les cultivateurs ont attelé et chargé leurs chariots et ont réussi à s’éloigner assez loin. Après le travail terminé, je suis parti avec un camarade, trop tard peut être. Nous nous sommes arrêtés un peu avant Souchez et nous avons passé la nuit dans une habitation des mines. Le matin, nous avons été surpris, nous pensions encore être avec les soldats français. Hélas, les Allemands avaient pris position au bas des collines de l’Artois. Il nous restait une solution, retourner à Méricourt. Non sans peine car les routes étaient encombrées de soldats et de matériel. Des habitants comme nous rentraient chez eux. Nous avons demandé quelques renseignements pour le retour aux gens de la maison où nous avions passé la nuit. Un employé des mines nous fit un plan. Nous revînmes par Calonne, le 2 et3 de Liévin, le 5 de Lens, le dépôt de Lens, le cimetière d’Avion. Nous longeâmes la ligne de chemin de fer de Corbières. Nous traversâmes la route de Méricourt à Avion, contournâmes Méricourt côté Ouest par le cimetière pour rentrer chez nous rue Ledru-Rollin. Mes parents étaient rentrés ainsi que ceux de mon ami Louis Delaby.
L’arrivée des Allemands
Deux mois après le début de la guerre, les Allemands arrivent à Méricourt le 3 octobre 1914:
Voici un extrait des Journaux de Marche et des Opérations (JMO) du 269ème régiment d’infanterie du 2 au 4 octobre 1914 :
JMO du 269 RI du 2octobre au 4 octobre 1914 NB : il existe 2 « versions » des évènements : une 1ere qui va du 1er au 10 octobre (l’originale) et une seconde remaniée et plus détaillée qui reprend les événements à partir du 1er octobre (avec quelques erreurs à la date du 3 octobre ; exemple Nancy au lieu de Rouvroy). C’est cette 2eme version qui est utilisée ici. 2 octobre matin : la brigade s’est heurtée à des forces allemandes venant du sud. Elles occupent la ferme Mauville et progressent sur Neuvireuil et Izel. 2 octobre en fin de matinée : replis avec l’artillerie sur la route de Neuvireuil à 600m d’Izel pour enrayer l’offensive ennemie venant du sud. ( La 21° Cie se replis vers 16h.) 2 octobre 13 h : le lieutenant Jullien rend compte qu’il va manquer de munitions et que l’ennemi s’est rapproché à 1200 m de ses pièces.Il tient 1 heure avant de battre en retraite. 2 pièces d’artillerie sont détruites faute d’attelage pour les tirer. 3 autres sont sauvées. 2oct : 14h : replis sur Fresnoy pour éviter l’encerclement d’Izel qui est imminent. .Une section de la 21° cernée dans le village est faite prisonnière ainsi qu’un poste d’infirmiers qui n’ont pas voulu abandonner leurs blessés. 2oct en fin de journée : replis sur Rouvroy avec notamment la 21°Cie qui, avec le 5E bataillon, prend position à la sortie S.O. de Rouvroy, dans la direction de Méricourt, pour parer à une attaque débordant Rouvroy par le Nord. 2 oct 20h : le 6° bataillon et les deux sections de mitrailleuses tiennent Rouvroy. Les pertes du 2 octobre ont été considérables : Le Lieutenant Berlet a été tué ; 5 officiers blessés et 4 disparus. 9 hommes de troupes sont tués, 155 blessés et 268 sont portés disparus. 3 oct 5h : une attaque allemande partie de Bois-Bernard refoule le 226° et s’étend jusqu’aux tranchées tenues par la 21Cie à l’Est de la route Rouvroy-Acheville .Cette attaque brisée par le feu de l’artillerie et de notre infanterie s’éteint vers 9h. 3 oct : vers 9 h une nouvelle attaque allemande partant de Drocourt se produits sur la lisière S de Rouvroy et sur la voie ferrée. La lutte est très violente et dure deux heures. Le Lieutenant Gateaux est tué près de la Chapelle à la sortie SE. 3 oct : a 11h, faute de munitions, le 6° bataillon se replie sur Méricourt où il arrive à midi. Il occupe le village sans être assailli : La 21°Cie au cimetière avec la S.M. Dutilleul La 22°Cie débouchés sur Rouvroy et Acheville La 23°Cie gare et voie ferrée La 24°Cie en réserve près de la sortie du village et du premier pont de la route de Salaumines (sic) Le 5° bataillon occupe les abords d’Acheville de la façon suivante : La 17° Cie dans le peit bois à 1700m au S.E d’Acheville La 18° Cie au sud de ce bois La 19° Cie dans les tranchées de la lisière O du village La20°Cie à la lisière Est face à Rouvroy. Un ordre fait porter le 5e bataillon en réserve à 1500m seulement d’Acheville avec des unités du 226° puis le 5°B est chargé d’organiser défensivement la croupe au NE de Vimy, la 17° Cie à droite, étant à cheval sur la route de Vimy-Acheville. Il reste sur ses positions jusqu’au lendemain sans être attaqué. A 2o heures, le 6° Bataillon est attaqué dans Méricourt par de grosses forces allemandes et est obligé d’évacuer le village. Il prend position à la gauche du 5°B sur la route au SO de Méricourt. Pertes du 3 octobre : Lieutenant Gateaux tué. 1officier blessé. 2 Hommes de troupe tués, 25 blessés et 16 disparus. 4octobre : le régiment a reçu l’ordre de reprendre Méricourt en même temps que le 226° et le 42° chasseurs doivent se rendre maîtres d’Acheville. Mais dans la nuit, les allemands en grandes forces font irruption d’Acheville sur le 226° et obligent ce régiment à se retirer sur le four à chaux à 220 m à l’ouest d’Acheville. L’attaque du 269° sur Méricourt est empêchée par ce mouvement et le régiment réduit à se défendre sur place puis à se retirer derrière la voie ferrée. Vers 8 h sur un ordre reçu de la brigade, le 6e Bataillon se porte en échelons et sous le feu, sur Givenchy-en-Gohelle où il est établi vers midi. Pertes du 4 octobre : 1 tué, 7 blessés et 18 disparus.
Nous sommes dans le contexte de la course à la mer (18 septembre-15 novembre 1914) avant la fixation du front et la guerre de tranchées.
Méricourt : une ville occupée
L’administration de la ville
Ci-dessous un plan des principales structures implantées par les autorités d’occupation :
Je vais reprendre les grandes lignes du chapitre 4 du livre d’Yves Le Maner La Grande Guerre dans le Nord et le Pas-de-Calais 1914-1918; éditions La voix du Nord; 2014. (que j’appelle source 5 par commodité) que je vais illustrer avec les témoignages des Méricourtois.
L’isolement des territoires occupés (source 5 page 208)
« Tous les pigeons de la zone occupée doivent être tués sous peine d’exécution des propriétaires pour espionnage ; cependant, si la peine de mort est brandie à des fins d’intimidation, le plus souvent, les contrevenants sont condamnés à des peines de prison. »
Arthur Lecomte : source2 page 63 écrit : Je veux dire un mot aussi sur notre grenier dans lequel se trouve le colombier de mon père. A peine arrivés, les Allemands ont exigé que tous les pigeons voyageurs soient tués. On devine avec quelle peine les épouses ont du tuer tous les pigeons et ceci sous contrôle des occupants. Je me souviens que ma mère ne voulait pas tuer une pigeonne rousse que mon père aimait particulièrement pour sa grande valeur au long concours. Elle avait notamment à son palmarès un premier prix sur Bordeaux. Ma mère l'avait dissimulée dans une mallette en toile, sous ses jupons. Elle a failli être jugée et emprisonnée pour tentative de désobéissance et notre pigeonne a été étranglée par l'Allemand qui surveillait ce massacre (en note : La mère d'Arthur Lecomte s'en est tirée à bon compte : le 23 août 1915, le mineur liévinois Busière était passé par les armes pour avoir caché des pigeons voyageurs).
La phase chaotique d’installation
page 209 : l’installation des kommandanturen constitue le premier passage de l’invasion à l’occupation.
Norbert Alluin ( source 1) : La Kommandantur s’installa place de la République dans l’habitation de Monsieur Dorez. (cf plan supra)
Octave Dorez apparait bien dans le recensement de 1911
Source 5 : page 209 : Dès leur arrivée les autorités militaires multiplient les mesures qui marquent leur autorité sur le territoire : elles imposent le couvre-feu, apposent des panneaux en Allemand, menaces et interdits pleuvent par voie d’affiches.
p 210 : L’occupant décide immédiatement de percevoir des contributions de guerre :
Norbert Alluin : Pas de perte de temps. Les Allemands réclament une rançon de guerre et menacent la population de représailles si elle n’est pas payée. Un riche Méricourtois, Monsieur Deprez Ignace versa 64 000 francs or dans l’habitation (sic) de Monsieur Dehay, rue Pasteur. (Avec le convertisseur de l’Insee, 64000 francs or correspondraient à 218 000 euros d’aujourd’hui).
Source 5 page 210 : Les Allemands entreprennent aussi d’inhumer les corps de leurs soldats.
page 218 : Les Allemands aménagent des carrés pour leurs soldats dans de nombreux cimetières communaux. Ils érigent dans presque tous les cimetières de grands monuments funéraires.
En 1916, N. Alluin est affecté à l'enterrement des morts : "Cinq ouvriers dont je fais partie sont désignés pour la mise en bière et l’enterrement. Nous avons peine à creuse les tombes car le terrain est gelé. Nous travaillons dès quatre heures du matin jusqu’à sept et de dix-neuf heures à vingt et une heures le soir, car la journée tout mouvement est salué par un bombardement. Il est difficile de dire combien nous avons enterré de soldats, je me souviens de 45 anglais et canadiens. Nous avons dû enterrer 7 à 800 allemands. Je pris à un mort ses bottes car mes souliers étaient éculés."
Il existe de nombreuses cartes postales illustrant les cimetières allemands :
Il existe même des photographies. Celle-ci dessous date de 1917 :
Source 5 page 201 : L’occupant n’hésite pas à réquisitionner des civils pour participer à la remise en état des voies ferrées et des routes endommagées par les combats :
Ainsi N. Alluin écrit pour 1915 : " Lundi 2 mai, à l’appel du matin à la Kommandantur, nous sommes emmenés en camion pour Vimy. Arrivés à la gendarmerie, des obus tombent de tous les côtés. Nous attendons une accalmie. On nous débarque sur le chemin de terre du Petit-Vimy. On nous donne des marteaux et des pelles pour empierrer la route. Nous travaillons jusqu’au samedi veille de l’attaque du 8 mai. Ce jour-là, nous devions également y travailler mais l’attaque en décida autrement."
Source 5 page 210 : Dans les derniers jours d’octobre (1914) les régions occupées sont en état de coma. Toute activité industrielle a cessé, des milliers d’ouvriers sont au chômage.
L’administration militaire Allemande (p 211 -214)
page 213 : Les Allemands exercent sur l’ensemble des territoires occupés un pouvoir militaire, administratif et pénal en remplacement de l’Etat français. Les missions des Kommandanturen consistent à maintenir le calme et l’ordre tout en exploitant les ressources du territoire. Elles s’occupent de tout….
La municipalisation du pouvoir français (p214-215)
Les Allemands ont décidé de maintenir en fonction le préfet du Nord et l’ensemble des maires des communes…. De fait, l’essentiel de l’administration française repose désormais sur les maires puisque les communes assurent de facto les responsabilités de l’Etat français absent.
Les municipalités disposent d’un pouvoir financier, celui d’émettre les bons communaux sans lesquels toute vie est impossible, et de lancer des emprunts.
Les municipalités doivent également satisfaire les multiples demandes allemandes.
L’omniprésence de l’occupant (pages216-221)
A proximité du front (ce qui est le cas à Méricourt) l’armée allemande a tous les droits : la présence des troupes est écrasante.
page 218 : L’obligation de loger des soldats allemands est durement ressentie par la population civile.
Cela apparaît très nettement dans le récit d'Arthur Lecomte (source 2) : pages 62-63 : Voici donc les Allemands arrivés dans notre pauvre commune. Ils s'installent. Des chiffres à la crais sont faits par eux sur les portes de notre maison. On apprendra plus tard que ces chiffres indiquent le nombre de soldats qui logeront chez nous. toutes les maisons sont ainsi occupées et les protestations sont repoussées sans ménagement. Voici donc le décor qui, je pense, est celui de toutes les familles des mineurs de Méricourt-Corons, dans lequel nous allons subir les occupants et toutes les vexations qu'ils ne manquent pas de nous infliger. ... Les fins d'alerte sont faites par coups de sifflet et, quand on entend les soldats rejoindre leurs chambres, nous remontons des caves pour essayer de nous réchauffer dans la pauvre chambre que nous ont laissée les douze Allemands qui se sont emparés des deux pièces du 1er étage et du grenier. page 67 : Notre pauvre maison est constamment parcourue par des soldats bottés qui montent, descendent l'étage, font irruption dans la salle à manger, dans la cuisine sans motif, pour le plaisir de déranger et de salir les pauvres pièces d'habitation qu'ils nous ont laissées. Ils (les occupants) jouent aux cartes, fument très longtemps, se chamaillent, et nos pauvres têtes sont remplies de tous ces bruits communs aux réunions d'hommes et nous nous endormons souvent très tard pour être quelquefois réveillés en sursaut par un bruit plus fort, soit une botte qui tombe lourdement sur le plancher, soit une chaise qui est bousculée et tombe sur le plancher. Quelquefois, il arrive qu'un soldat joue de l'harmonica et les autres l'accompagnent en fredonnant des refrains. A aucun moment il ne peut être question d'élever une protestation auprès des Allemands qui nous rient au nez... page 68 : L'affaire de ma tante. Au moment de la répartition des logements aux soldats, ma tante avait lavé les chiffres qui étaient portés sur la porte de sa maison. Quelques minutes après, elle avait reçu la visite du gradé qui lui avait imposé alors non pas quatre mais dix soldats. Il n'y eu rien à faire, et ils sont venus prendre possession du 1er étage, comme à la maison.
Norbert Alluin écrit pour cette première période d’occupation qui va d’octobre 1914 à mai 1915 (offensive d’Artois) :
Pendant ce temps, toute la troupe s’installait à Méricourt. Chaque habitation vide était occupée par des soldats en général âgés qui essaient de se faire connaître. Ils appartiennent au premier régiment d’infanterie et au premier régiment d’artillerie de Munich qui sont des unités de deuxième ligne. Ils partaient au front tous les quatre jours. Leur repos était de huit jours. Mais la discipline est sévère et l’exercice quotidien. Ils recevaient également beaucoup de colis, gâteau, chocolat, friandises qu’ils distribuaient aux enfants.
Puis en mai 1915, N. Alluin écrit :
Méricourt est investie de nouvelles troupes. Le deuxième régiment d’infanterie et le deuxième régiment d’artillerie de Bavière qui sont des régiments d’active. Nouvelle Kommandantur, grand changement. .../... Les Allemands commencent leurs défenses : abris, barbelés, nids de mitrailleuses. Le moral des troupes augmente avec la venue du deuxième régiment logé impasse Ledru-Rollin : les concerts sur la place sont fréquents. Et la relève des troupes se fait en musique. Six musiciens sont logés à la maison.
Le contrôle de l’espace public (pages 223-228)
Page 223 : Les Allemands font sonner les cloches pour célébrer leurs victoires.
Les visites d’officiers supérieurs ou de l’empereur donnent lieu à des cérémonies grandioses.
A ce sujet, N Alluin signale que le Kronprinz (fils aîné de l’Empereur allemand Guillaume II) a visité Méricourt en compagnie du général Hindenburg :
Ce même mois (mars 1915?) le roi de Bavière et le général Hindenburg arrivant d’Acheville passent les troupes en revue. Il fait le tour de Méricourt et se dirige vers la route de Vimy. Comme j’assistais à la revue, un commandant m’interpelle, me demanda si je n’avais pas de révolver et me fouilla.
Arthur Lecomte mentionne également cette visite : (source 2 page 72) :
La venue du Kronprinz. Depuis quelques jours, les soldats nettoient leur matériel, leurs équipements, leurs armes individuelles, collectives, les cantonnements, les abords, etc. Ils semblent vraiment affairés et tous, des plus hauts gradés aux simples soldats, ils font effort de propreté sur tous les points. On apprend que des officiers de haut rang doivent venir prochainement inspecter les troupes cantonnées dans Méricourt-Corons. On remarque aussi que les sentinelles sont plus rigides dans leur service, que les relèves se font en présence d'un gradé et avec plus de cérémonial militaire. des rassemblements d'unités ont lieu et la musique militaire joue des marches scandées par la grosse caisse. Les unités défilent en faisant le pas de parade et cela nous amuse, mais maman nous gronde et nous fait renter à la maison. Par ailleurs, les soldats rouspètent quand ils rentrent tout en sueur avec tout leur matériel, sac à dos, armes, etc. nous savons maintenant par l'Alsacien que c'est un officier approchant de très près le Kaiser qui doit venir avec son état-major, peut-être le Kronprinz lui-même. Et voici que les ordres arrivent. Les Allemands interdisent l'accès à la place de l'église de 10 à 13 heures. Il paraît que quiconque sera surpris en contravention avec ces ordres sera puni de prison. Ces mesures de protection laissent penser qu'il s'agit vraiment de l'arrivée d'un général allemand. Mes frères aînés décident de monter dans le grenier quand les Allemands seront partis pour défiler. Ils voient effectivement celui pour qui tous ces préparatifs ont été faits, entouré de nombreux officiers qui passent devant les troupes rassemblées. La musique joue, les troupes défilent au pas de parade devant cet officier qui est en réalité le Kronprinz. Le défilé terminé, l'inspection se poursuit dans l'hôpital et c'est tout ce que peuvent voir mes frères. Ils redescendent vite dans notre cuisine car, déjà, les unités fractionnées regagnent leurs cantonnements et ma mère était inquiète de ne pas voir mes frères revenir.
Source 5 page 226 : la réquisition des lieux de culte. Les bavarois, fervents catholiques sont mieux tolérés des paroissiens que les prussiens luthériens.
Ce qui semble être le cas à Méricourt, d’après N Alluin :
Nous allions à la messe allemande tous les Dimanches et le prêtre allemand nous montrait comme un exemple de catholiques.
Par contre pour l’abbé Wautier, ce n’est pas le même son de cloche. Voici comment N. Alluin évoque un évènement le concernant au printemps 2015 :
Mais le curé sera trouvé dans son parc un soir et sera emmené en captivité. Il est à remarquer que depuis l’arrivée des Allemands, il n’avait cessé de célébrer la messe à la salle du patronage des filles et qu’il n’était pas trop prudent sur les faits de guerre.
L’explication donnée par les collégiens (source 1 page 23) :
L'abbé Wautier a lui aussi des velléités résistantes, sinon provocatrices. Il profita de ses sermons pour faire de la propagande anti-allemande et annoncer les pertes subies par l'occupant.
Source 5 page 227 : Les Allemands éditent une presse en français qui relaie leur propagande. L’information de la population sur le cours de la guerre provient de cette presse, ou de journaux allemands, en particulier « La gazette de Cologne« .
N. Alluin l’évoque :
Dans la rue Victor Hugo, une librairie était ouverte dans un café assez spacieux : salle de lecture, bibliothèque, vente de journaux. J’allais chercher le journal, le Peuple de Cologne (sic)et le soir nous traduisions les communiqués et nouvelles intéressantes que nous distribuions le lendemain. Un jour, je fus pris à partie par un Allemand, un colonel dans doute. Je dus subir un interrogatoire serré et il me pria de ne plus acheter de journaux. Je me les procurais auprès de mon chef.
Un pillage massif et méthodique : pages 228-232
Les Allemands se sont efforcés de prélever le maximum de ressources sur le territoire occupé, à la fois pour assurer les besoins des troupes d’occupation et pour transférer des biens en Allemagne victime du blocus.
Mais c’est l’imposition des villes sous forme de contribution de guerre, qui constitue la pierre angulaire du système allemand d’oppression financière. Il s’agit de faire payer par les villes et par les habitants, les frais d’entretien des armées d’occupation, tout en prélevant des ressources utiles à l’effort de guerre.
A partie du 15 octobre 1914, l’administration militaire met en place un lourd système de réquisitions auprès des particuliers, très méthodique, s’appliquant à de multiples biens.
A Méricourt, cela concerne les vaches : (N .Alluin)
Au bout de quelques mois, la municipalité rassembla le bétail à la ferme Caperon. Quelques habitants eurent la charge de ces bêtes. La distribution du lait devint plus équitable. Un peu plus tard les Allemands les réquisitionnèrent et la ferme du château (Legentil) abrita tout le bétail ramassé dans les villages voisins.
Les récoltes :
Le battage des grains fut vite terminé. Les hangars des fermes furent vidés des récoltes qui furent emmenées on ne sait où.
Les métaux et les cloches des églises :
Grand chambardement dans le village et dans les communes voisines : les Allemands ramassent tous les véhicules, les ferrailles, les boîtes de conserve et les stockent à la gare. La cloche Julie ainsi que la cloche d’Avion sont emportées.
Le démontage et la destruction de l’appareil industriel : un cas particulier : les charbonnages (pages 235-238)
Méricourt ayant deux fosses en activité avant guerre (la fosse 3/15 surnommée l’Avaleresse et la fosse 4/5 sud surnommée Le Maroc) est doublement concernée.
L’Allemagne s’est efforcée d’entretenir une production minimale apte à fournir le charbon strictement nécessaire à la population occupée.
A ce sujet, N. Alluin note :
L’hiver (1914-1915) approche et les réserves s’épuisent. Nous ravitaillons tout le quartier en charbon que nous allons chercher au Maroc (fosse 4/5 sud) avec une charrette attelée de deux chiens
Dans l’est du bassin minier du Pas-de-Calais, l’extraction n’a repris que dans quelques fosses de la Compagnie de Courrières, avec des effectifs d’ouvriers restreints. La production est très faible par rapport à celle de 1913 : 5% pour Courrières.
Les compagnies minières de la partie est du bassin du Pas-de-Calais (Dourges, Courrières, Drocourt) ont du arrêter leur production en 1917, après le déclenchement de l’offensive britannique devant Arras.
Avec l’évacuation des populations après la conquête de la crète de Vimy par les Canadiens, en avril 1917, les Allemands entreprennent la destruction systématique des fosses ( cf l’article du 22 janvier 2023 intitulé : Méricourt : destructions de la guerre 14-18. La fosse 3-15 et ses environs.)
La privation de liberté (pages 239-244)
On note par exemple l’imposition d’un couvre-feu. Méricourt n’y échappe pas :
Le couvre-feu est fixé à 19 heures. On ne peut pas sortir du village sans autorisation et sans être accompagné. (N.Alluin)
L’occupant se livre avec constance à des opérations de comptage de la population civile qui est affectée à différentes tâches. Ainsi N. Alluin, note dès l’arrivée des Allemands dans la commune :
La Kommandantur s’occupa du recensement. Le maire dut s’employer à trouver tous les hommes et femmes valides pour tous les travaux de la commune. Nous dûmes sortir de nos cachettes et nous rendre au recensement sur la place. Là, nous reçûmes une affectation : pour les plus jeunes balayage des rues et des trottoirs ; nettoyage des édifices publics pour les jeunes filles et les femmes. Les plus âgés furent occupés à la batteuse.
Il ajoute plus loin que les habitants étaient payés pour ces tâches :
Nous sommes toujours occupés aux travaux de la commune qui nous paye tous les samedis sous contrôle allemand.
L’armée allemande a eu recours à la prise d’otages tout au long de l’occupation de 1914-1918, en désignant systématiquement des notables urbains.
Méricourt n’échappe pas à la règle :
Suite à leur échec de mai(1915), les Allemands prennent le secrétaire de mairie et le curé du village en otages. Ils seront libérés quelques jours plus tard. (N. Alluin)
Avoir faim
Une réalité présente à Méricourt
J’emprunte ce titre au livre d’Annette Backer : les cicatrices rouges 14-18 : France et Belgique occupées. Le grand livre du mois. 2010.
Je renvoie également à la source 1 aux pages 18-19 : Les angoisses de la faim
Je continue avec le livre d’Yves Le Maner (source 5) aux pages 249-255 qui concernent le sujet.
La faim pendant la guerre est une préoccupation importante des habitants de Méricourt qui transparaît dans les témoignages :
Les privations liées à la faim ne sont pas significatives dans le récit de Norbert Alluin :
En 1914 : Mais le village se vidait peu à peu de tout ce qui restait. Les Allemands emportent tout : victuailles, farine, etc… Alors les habitants étaient aux aguets pour essayer de récolter quelque chose, quoique les soldats donnaient ce qui était nécessaire sans doute par charité. L’hiver approche et les réserves s’épuisent. Nous ravitaillons tout le quartier en charbon que nous allons chercher au Maroc (fosse 4/5 sud) avec une charrette attelée de deux chiens. Heureusement les jardins ont donné bien des légumes qui ont té mis en réserve. La brasserie de Drocourt livre la bière. Les soldats de la première compagnie logés dans le quartier sont assez généreux, donnent un peu de pain et leur cuisine roulante distribue de temps à autre des gamelles de soupe. L’année 1916 s’annonce mal. Le ravitaillement diminue. Les Allemands ont envisagé de cultiver le terroir de Méricourt, et d’abord du blé et des pommes de terre. Les avions anglais incendient la récolte. L’hiver s’annonce très rigoureux. Il neige et les gelées sont fortes.
L’explication est peut être celle-ci :
Le service électrique est amplifié à Méricourt. Une génératrice est installée dans le café Halot rue du 1er mai et fournit le courant pour le village et la cité du Maroc. Chaque maison est dotée d’une lampe. Un ingénieur électricien et plusieurs soldats du métier assurent les installations. Un matin à l’appel, je suis choisi pour ce service avec deux hommes plus âgés pour la manutention. Ceci m’intéressait, connaissant un peu l’allemand. Je suis planqué bien qu’il y ait beaucoup de travail : je devais suivre partout le chef dont je fus tout de suite dans la manche. C’était un bon garçon, hostile à la guerre, musicien, (organiste) et désireux d’apprendre le français. J’avais la priorité de (sic) manger tous les midis.
Par contre le problème de la faim apparaît plus nettement dans le témoignage d’Arthur Lecomte :
source 2 page 69 :
La disette. Malheureusement on ne voit pas la fin de la guerre et les difficultés pour se nourrir se font de plus en plus grandes. Le pain allemand, déjà rationné et si peu agréable à manger, est encore plus rare et les rations sont encore diminuées. Les repas se font de plus en plus avec comme plat de résistance des pommes de terre cuites à l'eau. .../... Ce qui fait mal c'est de voir les Allemands qui jettent dans les fosses qu'ils ont creusées dans les jardins les restes de nourriture, haricots, lentilles, pommes de terre etc. Notre fierté nous empêche de demander les restes qui seraient accueillis avec délice mais...
Bien sûr la mairie s’occupe du ravitaillement. Arthur Lecomte (source 2 page 68)
Le ravitaillement. Pour chaque famille, il est obligatoire qu'elle soit représentés à la distribution qui se fait à la mairie de Méricourt-sous-Lens 1 sous la surveillance des Allemands. Le jour de la distribution, les représentants des familles sont rassemblés au passage à niveau de Méricourt-Corons, à l'heure fixée par les occupants. Les Français sont encadrés par deux sentinelles armées qui les escortent jusqu'au lieu fixé pour la distribution, en principe la mairie. Les retardataires sont impitoyablement refoulés et ne peuvent franchir le passage à niveau qui est constamment gardé. Lorsque les rations sont distribuées sous la direction du secrétaire de Mairie, le pauvre groupe est ramené à Méricourt-Corons sous la surveillance des sentinelles armées. La dislocation est faite après le franchissement du passage à niveau et il ne fait pas bon stationner auprès de cet endroit(sic). (Par crainte des vols?).
1 En 1910 la Mairie est transférée au presbytère pour laisser la place aux écoliers. (décision du conseil municipal du 24/12/1909). En contrepartie le curé reçoit 280francs30centimes pour frais d’expulsion.
On peut parfois compter sur la générosité des occupants comme le note N. Alluin à l’occasion de la Noël 1914 :
Noël approche. Un arbre de Noël est dressé et tous les enfants sont invités pour recevoir gâteaux, chocolat et jouets. On se demande par moment si c’est la guerre.
Le rôle essentiel de la C.R.B
La C.R.B. (commission d’aide à la Belgique; Commission for relief in Belgium) joua un rôle essentiel dans le sauvetage alimentaire du Nord ( Y Le Maner page 251-252) et Annette Becker, opus cité pages 139-158.
La CRB a été fondée le 22 octobre 1914 pour venir en aide à la population Belge en matière alimentaire. Le futur président américain, Herbert Hoover y joua un rôle important. Cette aide s’étendit ensuite aux populations du Nord occupé. Le gouvernement français versera secrètement des subventions à la CRB, par l’intermédiaire du gouvernement belge en exil.
On retrouve succinctement les traces de cette aide américaine dans les témoignage.
Dans N. Alluin :
En mars les denrées arrivent : lard, saindoux, farine, lait concentré, etc…Les fours se rallument et le pain est cuit sous le contrôle de la commune. La population reprend courage.
Arthur Lecomte page 71 :
La distribution du ravitaillement n'allait pas sans heurt ni dispute. Les malheureux attendent que la distribution commence. Ils s'énervent et de véritables disputes, des bousculades surviennent. Des coups sont échangés pour être servi avant le voisin. Cela ne sert pas à grand-chose, car les sentinelles ne reprennent le chemin du retour vers les corons que lorsque tout le monde a reçu sa petite part de ravitaillement. Ces rations sont souvent constituées de lard américain(ceci, bien entendu, avant l'entrée en guerre des Etats-Unis (avril 1917)) et de pain.
Un peu plus loin dans le récit (pages 78-79), la famille est évacuée en Belgique :
Nous sommes démunis de vêtements de nuit. Maman nous confectionne des chemises de nuit avec de la toile d'emballage des sacs qui contenaient le ravitaillement américain. Cette toile grossière est quand même chaude et nous protège tant bien que mal. Ma chemise de nuit est rouge avec des dessins noirs qui ressemblent à des étoiles.
Le tapuscrit des collégiens (source1) apporte de précieux renseignements sur l’aide apportée par la CRB à Méricourt : pages 18 et 19 :
Méricourt reçut cette aide internationale à partir d'avril 1915, elle dura jusqu'à l'évacuation de la population en avril 1917. La ville reçut 505 572 kilos de ravitaillement en 1915-1916. Les secours alloués augmentèrent rapidement : le démarrage avait été lent. En 1915, les Méricourtois ne reçurent que 44 288 kilogrammes de secours. L'année 1916 vit le véritable démarrage des secours : au premier semestre 1916, les Méricourtois reçurent 167 575 kilogrammes de produits alimentaires. Au deuxième semestre, les secours atteignirent un total de 293 711 kilogrammes. En un an les secours avaient presque décuplés. Cette augmentation des secours permit d'étoffer une ration particulièrement déprimée ; au premier semestre 1916, alors que les efforts de la CRB commençaient à porter leurs fruits, la ration journalière ne dépassait pas 1834 calories. Elle se composait des éléments suivants : 200 g de farine, 18 grammes d'haricots rouges , 47 grammes de lard et de saindoux, 15 g de sucre, 15 g de lait condensé, 200 g de pommes de terre. A la fin de l'année 1916, la ration journalière atteignit un seuil acceptable: 2277 calories. L'action de la CRB a donc atteint dès 1916 sa pleine efficacité, elle fournit aux familles les plus démunies l'essentiel de leur alimentation. Celle-ci reste à base de féculents. La ration alimentaire distribuée par la CRB est composée pour l'essentiel de farine et de féculents : plus de 85% de la ration en 1915,83% en 1916. Cette forte proportion correspond bien aux traditions alimentaires de l'époque comme aux possibilités financières de la CRB. La viande et les graisses n'occupent qu'une place mineure : 8 à 9% de la ration en 1915, 7,6% à la fin 1916. Il ne faut pas conclure de ces chiffres une détérioration du ravitaillement. La réduction de la part de la viande et des graisses est compensée par la montée des "aliments divers" en particulier de ceux qui sont destinés en priorité aux enfants : lait condensé, phosphatine, chocolat, etc...représentent 6,1 % de la ration en 1915, mais 10% en 1916. Cette diversification se retrouve au niveau des "produits carnés" où le poisson apparaît. Elle s'opère également au niveau des produits non alimentaires. Au premier semestre 1916, 23 familles de Méricourt et d'Acheville, soit 81 habitants, recevaient pour 20540F de vêtements : lingerie, literie, caleçons, écharpes, jupes, châles, chaussures. Au deuxième semestre, le comité envoyait pour 9270F de vêtements et de chaussures à 175 personnes représentant 48 familles. A cela s'ajoutaient plus de 14 tonnes de charbon. Les Méricourtois auraient eu mauvaise grâce à faire la fine bouche sur les secours fournis par la CRB, beaucoup ne faisaient bouillir leur marmite que grâce à ces secours.
Et Madame Germaine alors!
Sous ce titre provocateur je vais évoquer un sujet encore peu traité : la prostitution pendant la première guerre mondiale. Je renvoie le lecteur au livre d’Annette Becker (cf supra) et le chapitre Corps des femmes, corps de la nation : pages 240-248.
C'est Bruxelles , vue comme capitale de la débauche des soldats au repos, qui a connu le plus grand nombre de prostituées comme le rappelle en 1920 Otto Dix dans son souvenir de la galerie des glaces de Bruxelles.
Cela tombe bien car j’ai consacré un petit article à Otto Dix à Méricourt qui a immortalisé Madame Germaine dans ce tableau :
L’évacuation
Après l’offensive britannique d’avril 1917 et la prise de Vimy par les Canadiens, les Allemands décident l’évacuation de la population de Méricourt vers la Belgique.
Norbert Alluin témoigne :
Le 11 avril, les Allemands avertissent la population qu’elle doit quitter la ville par ses propres moyens. Les camions allemands se chargent des familles avec enfant. Toute la nuit c’est l’évacuation et à quatre heures du matin il restait dans la cave du café Richard trois familles. Je partis donc à la Kommandantur demander que l’on évacue ces familles. Un camion nous conduisit à Noyelles-Godault sous le bombardement et la neige : la population est sortie de l’enfer après avoir montré beaucoup de patience et gardé un bon moral vis-à-vis de l’occupant. L samedi 13, nous embarquons en gare de Dourges dans des wagons à bestiaux plus serrés que des bêtes. Nous partons à 14 heures. Nous voyageons toute la nuit et après de nombreux arrêts nous arrivons le matin à neuf heures à Hainaut en Condron, province de Namur. L’accueil est froid et nous sommes installés dans les localités voisines. Nous sommes heureux de pouvoir vivre à l’air libre. Le cauchemar des caves et des souterrains était terminé.
Norbert retrouve sa famille dans le Gers à la veille de Noël 1918.
Arthur Lecomte évoque avec beaucoup de détails l’évacuation de sa famille via la Belgique. Puis c’est le départ vers le Lot-et-Garonne. Après un court passage par Paris, le père est embauché comme mineur de fond à Bruay-en-Artois. Sa femme et ses enfants l’y rejoignent durant l’hiver 1918-1919. Arthur peut enfin être scolarisé. En 1921, la maison de Méricourt-Corons est rebâtie et la famille s’y installe à nouveau.
Conclusion
Au terme de cette étude il apparaît que Méricourt a subi le même sort que toutes les agglomérations de la Région soumises à l’occupation Allemande. Les habitants ont été mis sous tutelle par les occupants, ont du loger les soldats, subir de nombreuses privations, parfois des humiliations et la faim par moment. Le territoire a été systématiquement pillé. Mais au-delà de ces souffrances, il y avait surtout l’angoisse des familles pour les pères, frères ou maris qui se battaient dans les tranchées dans des conditions horribles : allaient-ils revenir vivants? Intacts?
La ville fut complètement détruite et les habitants commencent à revenir à partir de 1919.
Aujourd’hui, malheureusement, la guerre est encore d’actualité dans de nombreuses régions du monde : au Yémen, au Soudan, en Ukraine etc. Bien sûr depuis un siècle, les armes ont considérablement évolué, elles sont devenues terriblement meurtrières mais qu’en est-il de la souffrance psychologique et physique subies par les populations et les soldats? Il n’y a pas de guerre propre. Dès le XIXème siècle, le droit international a défini la notion de crimes de guerre (jus in bello) mais n’est-ce pas la guerre qui est une crime en soit? Car, une fois la guerre commencée on retrouve toujours les mêmes horreurs. Faut-il y voir une fatalité?