Pour éclairer mon propos je vais faire appel à deux historiens. D’abord à Bernard Delmaire professeur émérite d’histoire médiévale à l’université de Lille III puis à Ludovic Notte, archéologue.
Bernard Delmaire : historien médiéviste
Le toponyme Samer apparaît dans les cadastres napoléoniens au début du XIXème siècle.
Cette parcelle est située sur l’ancien chemin de Méricourt à Rouvroy (Rue Camille Desmoulins) au niveau des anciennes HLM construites en 1958 et aujourd’hui détruites. C’est lors de leur construction, qu’Eugène Monchy a découvert, par hasard, des sépultures franques ou mérovingiennes(cf figure2). Je renvoie le lecteur à la monographie de Méricourt présentée par la coopérative scolaire de l’Ecole Jean Mermoz-1963-Imprimerie centrale de l’Artois.
En lisant le numéro 32 de Gauhéria de décembre 1994, deuxième tome des « mélanges Eugène Monchy » (l’un des pères fondateurs de notre association) je tombe sur l’article de Bernard Delmaire, professeur d’histoire médiévale à l’université de Lille III dont j’ai eu plaisir à suivre les cours lors de mes années estudiantines.
Cet article s’intitule : Documents inédits sur une localité disparue de la Gohelle : Saumer (commune de Méricourt), pages 109 à 118.
C’est en faisant des recherches sur l’ancien diocèse d’Arras que l’auteur a découvert « ces énigmatiques Sanctus Vulmarus et Saumer « et qu’il est « heureux d’offrir quelques résultats de ces recherches à un historien de la Gohelle, et de Méricourt en particulier » (il s’agit bien entendu d’Eugène Monchy).
B.Delmaire fait ensuite une liste chronologique (les regestes, disait-on jadis) du milieu du XIIème siècle au XVIIIème siècle.
« Voici en quelques phrases les principales étapes de la vie et la mort de Saumer. -en 1176 Sanctus Vulmarus est cité pour la première fois il fait partie des biens de l’abbaye bénédictine d’Anchin à deux titres : pour son « autel » et pour sa « cour » ; cela veut dire que c’était une localité habitée, si petite fût-elle, avec une église (pas nécessairement paroissiale) …mais sans doute n’était-ce qu’une église sans prêtre à demeure, dépendant d’une paroisse voisine (peut-être Sallau ou Noyelles-sous-Lens qui étaient des paroisses d’Anchin). Quant à la « cour » (curtis) c’est une exploitation agricole menée par un moine ou un convers de l’abbaye. Le passage de Sanctus Vulmarus, saint Vulmer, à Saumer ou Samer est exactement le même que dans le cas du bourg de Samer dans le Boulonnais.
-Deux actes du milieu du XIIIe montrent une situation différente. Plus question d’autel mais seulement de la » cour » qui cesse d’être exploitée en faire-valoir direct en 1247 au plus tard lorsque l’abbaye la confie à cense (à ferme) à un censier (fermier).
Cela inaugure cinq siècles et demi de fermage des terres d’Anchin à Méricourt. Plus de village ou de hameau, mais une grosse ferme : cela a duré plus de deux siècles, jusqu’en 1464 au moins. -entre 1463 et 1474 la ferme elle-même est abandonnée ; la maison et cense est encore occupée en 1463, mais en 1474 le censier Jehan le Bourgeois et sa femme se sont enfuis en Hainaut ; en 1488 un nouveau censier prend à cense le manoir non amasé, c’est-à-dire que la parcelle (manoir) n’est plus bâtie (amasée) et le censier demeure à Méricourt ; elle ne le fut jamais plus d’après les documents des siècles suivants. (L'explication : Cet abandon est sans doute dû aux guerres entre Charles le Téméraire, maître de l'Artois, et le roi Louis XI qui commencèrent en 1472 : le village d'Acheville, limitrophe de Méricourt, a été ravagé par les Français en 1475.) -Dès lors, pendant trois siècles, Saumer ne fut plus d’un ensemble de terres affermé régulièrement de neuf ans en neuf ans. La superficie de ces terres est d’une constance remarquable (environ 2,5 hectares). »
Où était située Saumer ?
B. Delmaire indique en fin d’article que « Saumer se trouvait sur la route de Lens à Douai, donc au Nord de Méricourt… ».
L’auteur précise ensuite que « des recherches plus complètes…permettraient sans doute de localiser Saumer avec plus de précision et, qui sait, d’indiquer aux archéologues l’endroit où ils pourraient fouiller le site… »
Selon tombe bien, car en 2009, il y a eu des fouilles préventives de l’INRAP (institut national de recherches archéologiques préventives) sur l’emplacement du lotissement situé face à l’école Mandela, rue Camille Desmoulins.
Ludovic Notte : archéologue
Suites aux fouilles archéologiques menées en 2009, Ludovic Notte a publié :
Avant le village : une occupation du haut Moyen Âge à Méricourt (Pas-de-Calais) en marge de la curtis Sancti Vulmari Dans Revue du Nord 2012/5 (n° 398), pages 167 à 214.
Après avoir présenté les résultats de la fouille qui révèlent un répertoire mérovingien tardif avec quelques éléments carolingiens précoces (fin VIIème siècle-début ou courant VIIIème siècle), l’auteur met en corrélation l’archéologie avec l’histoire car le site de fouille est attenant à la parcelle où en 1958 furent construites les HLM et où Eugène Monchy fit quelques relevés archéologiques. (cf figure 2 supra).
L’auteur met en avant qu’au Moyen Age, Méricourt possédait deux églises :
L’église (Saint Martin), du moins l’autel, est citée pour la première fois en 1115… La dédicace à Saint Martin est peut-être ici l’indice d’une fondation ancienne, mais malheureusement les travaux d’aménagements de la place de la mairie en 1969 et 1979 n’ont donné lieu à aucune fouille ou relevé précis (NDLR : l’ancienne église de Méricourt du 18ème siècle a été détruite pendant la première guerre mondiale et était située sur l’emplacement de l’actuelle mairie. L’actuelle église Saint Martin a été construite après la première guerre mondiale 200 m plus au Sud.).
En 1148, il existait une seconde église (appartenant à l’abbaye d’Anchin) : l’église et la « court » Saint-Wulmer dont la toponymie actuelle a gardé le souvenir, sous la forme « Samer »[[ Pour Saint Wulmer : cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Wulmer]]l est précisé que l’acquisition ou la constitution du domaine s’est opérée entre 1123 et 1148. On cherche en vain une raison qui aurait amené les religieux d’Anchin à créer un autel qu’il ne pouvaient desservir eux-mêmes, précisément à Saint-Wulmer, à quelques sept cent cinquante mètres de l’église Saint-Martin attestée dès 1115. L’église de Saint-Wulber a disparu assez rapidement (dans la première moitié du XIIIème siècle ?).
Pour Bernard Delmaire, cette église n’était » sans doute qu’une église sans prêtre à demeure, dépendant d’une paroisse voisine (peut être Sallau ou Noyelles-sous-Lens qui étaient des paroisses d’Anchin) (cf supra). Ici, Ludovic Notte ne partage pas cet avis car il précise que l’autel de Saumer ne paraît pas pouvoir être qualifié d’annexe ou de secours; il s’agit sans doute bien d’une ancienne église paroissiale.
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En ce qui concerne la cense de Saumer ou Samer, L. Notte apporte un élément précieux de localisation :
P 201 : La localisation de la cense médiévale est assurée : elle se situait dans la parcelle attenante à l’emprise de fouille au débouché du quemin qui maine de Menricourt (ou de Baillon) à Saumer (XVème-XVIIème s).(cf figures 34et 37)
Le flégard : un espace vide ou place herbacée.
Sur la figure 37 samer est située au Sud du chemin de Méricourt à Saumer ( n°5 de la légende de la figure) ; parcelle en vert.
Le château :
Eugène Monchy écrit qu’au Moyen Age, Méricourt possédait un château bâti sur une motte, dont on ne possède aucun indice.
Ludovic Notte écrit que « le chemin SO-NE est interrompu par une parcelle qui n’est d’autre qu’un espace vide ou place herbacée (le flégard). Le château flanque directement ce carrefour et semble déterminer l’emplacement du village (figure 37). »
En détaillant la figure 37, il semblerait que le château( numéro 2) soit situé sur l’emplacement de ce qui sera le manoir Legentil.
Pour conclure :
Dans l’état actuel des archives disponibles nous pouvons dire que le toponyme de Samer est dérivé de Saint-Wulmer (un saint du VIIème siècle originaire du boulonnais). Ce domaine (autel et ferme) appartenait à l’abbaye d’Anchin (sur l’actuelle commune de Pecquencourt) et a été présent, quelques décennies, sur le territoire de Méricourt entre le XIIème et le XIIIème siècle. A partir du milieu du XIIIème siècle l’autel disparait, il ne reste qu’une grosse ferme dont les bâtiments semblent être détruits à la fin du XVème siècle. Dès lors, pendant trois siècles, Samer ne fut plus d’un ensemble de terres affermé régulièrement de neuf ans en neuf ans. La superficie de ces terres est d’une constance remarquable (environ 2,5 hectares). Ces quelques éclairages ne doivent pas masquer que l’histoire médiévale de Méricourt reste à écrire car les zones d’ombre sont immenses.